illustration Hervé Vaucheret, la passion de l’inexpliqué
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Agroécologie 10 min

Hervé Vaucheret, la passion de l’inexpliqué

Pionnier dans le domaine de l’épigénétique végétale, Hervé Vaucheret doit sa reconnaissance internationale à son exceptionnelle persévérance et à sa passion de comprendre les résultats inexpliqués. Il reçoit en 2021 le Grand Prix des Lauriers 2021 d'INRAE.

Publié le 29 novembre 2021

Explorer l’inattendu

Une découverte qui amorce la compréhension des mécanismes de reconnaissance du « soi » du « non-soi » chez les plantes

« Quand j’ai commencé mes études de biologie, on savait que les plantes étaient parfois capables de surmonter une infection virale mais on ne savait pas par quels mécanismes. Les travaux de mon équipe ont contribué à élucider l’un de ces mécanismes et ce, de manière complètement fortuite car je travaillais sur un tout autre sujet », résume Hervé Vaucheret. C’est en effet l’exploitation de résultats inattendus qui a permis à Hervé de réaliser ces avancées remarquables, avec à la clé 135 publications, plus de 28 000 citations, et de nombreux prix scientifiques.

Au cours de sa thèse, dans les années 80, Hervé observe que, quand il introduit un transgène dans une plante pour étudier son expression, ce transgène est parfois éteint, et ce, de manière progressive, comme si un facteur d’extinction se propageait dans les tissus à partir d’un point donné. Cette propagation spatiale rappelle celle que l’on observe chez une plante qui se débarrasse spontanément d’un virus, un phénomène décrit pour la première fois en 1928. Ce rapprochement suggère que la plante « éteint » les virus de la même manière qu’elle éteint, parfois, les transgènes.

Légende : Une observation clé : le rapprochement de deux phénomènes observés chez le tabac à 67 ans d’intervalle. À gauche, phénomène d’extinction d’un transgène (codant la nitrite réductase), conduisant à un jaunissement progressif des tissus du bas vers le haut de la plante (1995). À droite : phénomène d’inactivation d’un virus, conduisant à une disparition progressive des nécroses du bas vers le haut de la plante (1928).

Quelques années plus tard, en 2000, l’équipe d’Hervé Vaucheret confirme cette hypothèse en montrant qu’une plante dans laquelle les mécanismes d’extinction de gènes sont inhibés est incapable de résister au virus.

Légende : Démonstration de l’existence d’un seul mécanisme. À gauche, les plantes sauvages d’arabidopsis résistent naturellement à une infection virale. À droite, les plantes déficientes pour le mécanisme d’extinction des transgènes sont incapables de résister au virus.

Cette découverte amorce la compréhension des mécanismes de reconnaissance  du « soi » du « non-soi » chez les plantes. Peu à peu, les travaux d’Hervé Vaucheret dévoilent la face cachée de l’iceberg : comment la plante se défend contre des gènes perçus comme des intrus, mais aussi comment elle corrige les anomalies de fonctionnement de son propre génome et comment elle régule les éléments moteurs de l’évolution : duplication de gènes, sauts de transposons. Ces mécanismes se retrouvent chez d’autres organismes comme les animaux invertébrés, les champignons et les ciliés.

Pour aller plus loin : comprendre les mécanismes de l’extinction

Pour comprendre les mécanismes de l’extinction, il faut pénétrer dans le domaine du génome, avec son ADN chromosomique double brin qui porte les gènes, lesquels gènes sont transcrits en une réplique ARN simple brin, appelé « ARN messager », lui-même servant de guide pour la synthèse des protéines cellulaires. Dans une cellule, il y a donc essentiellement des ADN double brin et des ARN simple brin. Les ARN double brin constituent des formes anormales qui sont reconnues par des enzymes spécialisées. C’est sur cette propriété que repose le phénomène d’extinction : certains ARN issus de transgènes, de transposons ou de virus, perçus comme étrangers, sont transformés en ARN double brin, « ennemis » de la cellule. Ils sont alors tronçonnés en « petits ARN ». Ces petits ARN guident une enzyme de dégradation vers les ARN messagers des transgènes, transposons et virus, qui sont détruits. Les petits ARN se répandent de cellules en cellules, propageant ainsi le phénomène d’extinction dans toute la plante.

Le mécanisme d’extinction de gènes est en quelque sorte une « super-défense », efficace et rapide, qui permet de réagir à un danger tel que l’insertion d’un transgène ou d’un transposon dans le génome, ou la prolifération exponentielle d’un virus. A côté de cette super-défense, dans d’autres compartiments cellulaires, coexiste une « défense intérieure », locale, qui surveille en continu l’expression des gènes endogènes et élimine les ARN messagers anormaux, par un mécanisme différent de l’extinction, sans former de petits ARN mobiles. L’intégrité des cellules dépend de l’équilibre entre ces deux défenses. Si on inactive la défense locale, la super-défense s’attaque aux ARN messagers endogènes anormaux en produisant des petits ARNs qui finissent par s’attaquer aussi aux ARN messagers endogènes normaux, entraînant la mort de la cellule.

La confiance, moteur de la recherche

C’est dans la confiance, pas dans la surveillance, que l’on tire le meilleur parti des chercheurs.

Quand on observe un résultat inattendu, on peut choisir de l’ignorer en le classant comme un artefact lié aux conditions expérimentales. On peut aussi choisir de s’y intéresser et de creuser pour en comprendre la signification. La tendance d’Hervé est plutôt de creuser, et il l’a fait avec pugnacité, caractérisant des milliers de plantes transgéniques pour éprouver la reproductibilité du phénomène d’extinction. « J’ai eu une grande chance de travailler avec des directeurs de recherche qui m’ont fait confiance. Je suis particulièrement reconnaissant à Jean-Pierre Bourgin et Michel Caboche. Michel m’a encouragé à prendre mon indépendance et m’a parrainé pour participer au premier projet européen sur l’extinction de gènes, en 1993, avec seulement six laboratoires impliqués » .

Hervé Vaucheret dans les serres à Versailles
Hervé Vaucheret dans une serre à Versailles

« Quant à Jean-Pierre Bourgin, il a insufflé dans cet Institut, qui porte maintenant son nom (IJPB, 1), une philosophie de confiance et de partage des ressources entre les équipes, qui est, à mes yeux, le meilleur moyen de stimuler la recherche. Ce fonctionnement collectif permet d’absorber les fluctuations de financement auxquelles j’ai été, comme d’autres, confronté. La gestion de la recherche en France est telle qu’aujourd’hui on nous demande de tout programmer alors même que nous ne savons pas de quel financement ni de quelle équipe nous disposerons dans les années à venir. En mutualisant les ressources à l’IJPB, nous pouvons développer des programmes de recherche fondamentale en prenant des risques ».

« Mais engager des programmes de recherche sur le long terme n’a de sens que si on peut les pérenniser. Et pour cela, il faut absolument préserver un système de recherche basé sur des équipes composées de plusieurs permanents. »

Faire une recherche utile et partager les connaissances

Au départ, Hervé Vaucheret pensait s’orienter en cancérologie, pour ses forts enjeux de santé publique. Il a fini par choisir les plantes pour être libre dans ses investigations et s’affranchir des limites éthiques inhérentes aux modèles animaux.

« La recherche est toujours un plaisir, c’est quand on trouve que les ennuis commencent ! » C’est par cette boutade qu’Hervé exprime la difficulté de communiquer sur ses résultats, en particulier vers un public non scientifique. A propos de la vulgarisation, il cite volontiers Aldous Huxley, dans son essai « Retour au meilleur des mondes » :  « « Il faut simplifier sans déformer... Faire porter toute son attention sur les éléments essentiels d'une situation, mais sans négliger trop les à-côtés qui nuancent la réalité…. Restituer non pas toute la vérité mais considérablement plus que les dangereuses approximations qui ont toujours été la monnaie courante de la pensée ». Fort de cette exigence, Hervé tient beaucoup à ce partage des connaissances, c’est même le fondement de sa vocation. S’il a choisi la recherche publique, c’est avant tout pour faire avancer les connaissances et les partager le plus largement et le plus librement.

(1) IJPB : Institut Jean-Pierre Bourgin.

Et après ?

Il reste encore beaucoup à découvrir sur les mécanismes d’extinction de gènes, en particulier les éléments déclencheurs : qu’est-ce qui fait que les transgènes, les transposons et les virus sont reconnus comme intrus dans le génome, et comment sont-ils distingués des gènes endogènes ? Qu’est-ce qui déclenche leur extinction dans certaines plantes et pas dans d’autres ? Voilà quelques-unes des pistes de recherche qu’envisage Hervé pour les dix années à venir…


Le laurier INRAE ?

Hervé le voit comme « une reconnaissance qui rejaillit sur l’IJPB et met à l’honneur cet Institut de renommée internationale et le succès de son fonctionnement collectif ».

Mini-CV

59 ans, marié, 3 enfants

  • Parcours professionnel
    Depuis 2018 : Responsable scientifique des Installations expérimentales, Institut Jean-Pierre Bourgin, centre INRAE Île de France - Versailles-Grignon
    Depuis 1997 : Directeur de recherche, IJPB
    1989 - 1997 : Chargé de recherche INRAE

    Depuis 1993 : Directeur de l’équipe « Epigénétique et petits ARN », IJPB
    2007-2010 : Directeur adjoint du Laboratoire de biologie cellulaire, centre Inra Versailles-Grignon

  • Formation 
    1996 : Habilitation à diriger les recherches, Université Paris-Sud, Orsay
    1989 : Doctorat, Génétique moléculaire, Université Pierre et Marie Curie, Paris
    1986 : Master 2, Génétique, Université Pierre et Marie Curie
    1985 : Master 1, Biochimie, Université Pierre et Marie Curie
  • Prix et distinctions
    2021 : Grand prix de la recherche agronomique INRAE
    2009 : Grand prix scientifique de la Fondation Louis D., Académie des Sciences  

    2005 : Médaille d’argent du CNRS. Membre permanent de l’EMBO
    2004 : Prix Eugénie de Rosemont, Chancellerie des Universités d’Ile-de-France 
    2002 : Médaille de vermeil de l’Académie d’Agriculture

    2003 : Grand prix Jaffé de l’Académie des Sciences.
  • Loisirs : Littérature, musique, vélo, voyages

Lauriers d'INRAE 2021

Pascale MollierRédactrice

Contacts

Hervé Vaucheret Institut Jean-Pierre Bourgin (INRAE, AgroParisTech)

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